On aurait pu croire que l'entrée en Terre Promise permettrait aux Enfants d'Israël de souffler enfin après tant d'épreuves, mais il n'en est rien. La longue gestation du désert ayant pris fin, l'ère de la responsabilité commence. Il incombe alors de créer une société bonne aux yeux de Dieu, et quelle est-elle ? Celle de la justice.
Ainsi commence la portion (ou péricope pour les amoureux de la langue) de la semaine Shoftim - Les Juges.
Le premier verset s'adresse au peuple en général : il faut nommer des juges qui rendront un jugement juste.
Le deuxième semble parler aux juges directement : ne pas tordre l'idée même de la Justice ou du Jugement en se laissant corrompre.
Le troisième laisse planer un doute : parle-t-on aux juges ou au peuple tout entier ?
La répétition "Tsedek Tsedek", "la justice la justice" a donné lieu à une multiplicité d'interprétations des Sages. Plusieurs idées en émergent, et ne sont pas forcément contradictoires. Bien au contraire, elles nous donnent l'occasion d'explorer les multiples facettes du concept de "justice" tel qu'il est compris par les Sages.
Le premier qu'on cite est souvent Rashi, et en effet son commentaire mérite qu'on s'y attarde. Il cite le Sifrei Devarim (144:14) qui interprète cette répétition des termes comme ceci :
צֶדֶק צֶדֶק תִּרְדֹּף. הֲלֹךְ אַחַר בֵּית דִּין יָפֶה:
"Va vers un Beit Din yafé-bon"
Qu'est ce qu'un "bon" Beit Din - tribunal ? C'est un tribunal qui juge bien, selon la justice, composé des meilleurs juges, ceux qui sont les plus éthiques, les plus savants. Ce commentaire est plus fort qu'il n'y parait : pour aller vers un "bon" tribunal, on doit savoir ce qui constitue le "bon" ! C'est un fort appel à la responsabilité individuelle : il faut juger, discriminer, réfléchir, utiliser ses propres capacités de discernement avant même de s'en remettre à celles des autres, quand bien même nous en aurions besoin. L'idée n'est pas de faire justice soi-même, les juges sont là pour ça, il s'agit plutôt d'un avertissement contre l'abandon total de ses capacités intellectuelles à des tiers. Tu as besoin d'un tribunal, vas-y; mais prends aussi conscience toi-même de ce que la justice est, de ce que tu recherches. Ce qui peut très bien se lire dans le commentaire du Ibn Ezra : "Le terme "Tsedek" apparaît deux fois, car une personne devrait poursuivre la justice, qu'il y gagne ou qu'il y perde".
Une fois conscient de ce qu'est la justice qu'on recherche, on comprend que cela dépasse complètement le cadre de notre propre personne : l'application de la justice sur terre est une responsabilité qui s'applique à tous, même - et surtout - dans les jugements qui nous concernent. Ce n'est qu'une fois que ceci est intégré qu'il devient possible d'aller sincèrement devant le tribunal, car on ne vient pas pour se faire justice mais pour que la justice soit rendue. Cette responsabilité pesante est présente chaque jour, c'est d'ailleurs la deuxième explication du Ibn Ezra : " [...] ou la répétition veut dire "jour après jour, tous les jours de ta vie".
Seulement, je n'ai pas forcément l'occasion d'aller au tribunal chaque jour, quelle est cette application de la justice à laquelle je devrais m'atteler au quotidien ? Plusieurs réponses sont possibles, la simple étude et réflexion sur ce terme, notamment par l'étude de la Torah, ou le rapport aux autres qu'on entretient et nos affaires financières comme le dit Rabbeinu Behaye qui enseigne qu'en répétant ainsi les termes, "la Torah nous enjoint à faire attention à nos actes et à nos paroles, car c'est par ces deux biais-là qu'il nous est possible de faire du mal aux autres".
Ainsi, tout est lié : les juges ont un rôle qui leur est réservé, qui est l'application de la justice grâce à leurs compétences exceptionnelles, morales, intellectuelles et religieuses, mais cela ne nous dédouane pas pour autant de notre propre responsabilité, qui est de développer une conception personnelle de ce qui est un comportement juste, chez les autres et chez nous, et de l'appliquer dans tous les domaines de la vie.
A l'approche de Rosh Hashana, il peut être éprouvant de penser à nos écarts des années précédentes et d'émettre des jugements très négatifs sur nous-mêmes; mais le fait de réfléchir extérieurement à l'idée de justice nous permet de nous juger plus objectivement de manière constructive, sans être complaisants pour autant : le monde est à parfaire et rien n'est jamais perdu, chaque jour est une nouvelle occasion d'accomplir la volonté divine qui est de répandre la justice sur Terre.
Shabbat Shalom
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