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Photo du rédacteurÉmile Ackermann

Pour une voix juive dans la société.

Dernière mise à jour : 26 janv. 2022



Il est assez répandu dans l'esprit des gens, notamment des juifs, que "la religion juive n'est pas prosélyte". Si cette affirmation est vraie en partie, elle ne dit pas tout pour autant. En effet, si nous n'affirmons pas "hors de la Synagogue point de Salut", nous disons tous les jours dans la prière Aleinu notre espoir qu'un jour "Dieu soit [reconnu comme] Roi sur toute la Terre". Quelle peut bien être cette position d'entre-deux, où nous ne cherchons pas à faire en sorte que la planète entière ait deux vaisselles à la maison mais où l'on prie trois fois par jour pour que tout le monde ait conscience que "Son Nom est Un" ?

Il est toutefois nécessaire de préciser d'abord que le débat quant au supposé non-prosélytisme des juifs n'est pas tranché, comme peut le laisser supposer une certaine lecture du Rambam [1], ou d'autres Sages de notre tradition.


Si nous descendons tous d'Adam, que nous avons tous été crées à l'image divine, en quoi la division entre juifs et non-juifs est-elle légitime ? La Torah nous le dit : "Vous serez pour Moi un royaume de prêtres et une nation sainte" (Exode 19;6). Saints, séparés du reste pour occuper le rôle de prêtre; rôle qui était dévolu auparavant à l'aîné de la famille, comme peuvent en témoigner l'histoire de Jacob et Esaü ou encore la contingence de la création des Cohanim, prêtres, qui auraient dû être les aînés des familles. Le prêtre a une relation particulière et privilégiée au culte, Avoda, et donc à Dieu.

Mais le peuple-prêtre n'est Saint que lorsqu'il assume cette position au sein des nations : même avant l'Exil, soixante-dix taureaux étaient sacrifiés à Sukkot, la fête des Cabanes, pour que Dieu pardonne aux soixante-dix nations leurs fautes. C'est là qu'est véritablement le rôle du juif, chez lui ou ailleurs : veiller au culte, chercher à être exemplaire et rendre exemplaires les autres. Si nous sommes responsables de leurs fautes au point d'avoir l'obligation de les représenter devant Dieu, nous sommes responsables vis-à-vis d'eux au quotidien. C'est bien pour cela qu'il est dommage de voir que de nombreux juifs de France semblent se sentir concernés principalement par l'état d'Israël et la Shoah. Où est la voix juive sur les réformes de l'éducation ? Sur le débat de société actuel concernant le port de signes religieux ? Sur la justice sociale, sur l'éthique du quotidien ? Sur la situation des sans-abris ? Sur la prolifération de nouvelles théories du complot, comme celle du "Grand Remplacement" dont nous avons été nous-mêmes victimes par le passé ? Sur la plupart des sites de médias ou d'institutions censées nous représenter, vous ne verrez rien de tout ça. Exception faite du Grand Rabbin de France, dont l'audience est plus non-juive que juive et dont l'admirable discours en 2015 sur la situation des migrants semblait n'avoir reçu que peu d'écho au sein de la communauté.


La citation de Pessahim 87b “Rabbi Eleazar dit : ” Le Saint Béni soit-Il n’a exilé Israël parmi les nations qu’afin que s’y joignent des convertis, comme il est dit “ Je la sèmerai pour Moi dans la terre” peut donc être interprétée de plusieurs façons : Dieu désire faire revenir à Lui les "âmes juives" égarées parmi les nations, mais aussi selon sa signification étymologique en français, conversion (du latin conversio) signifie retournement, changement de direction; il est de notre responsabilité d'avoir une voix qui porte pour que le monde change.


Qu'il change vers où ? Nos prophètes nous l'ont assez dit, assez répété et pourtant il est aujourd'hui plus que nécessaire de le répéter :


" Ainsi parle l'Éternel: Observez ce qui est droit, et pratiquez ce qui est juste [..] "


"Et les étrangers qui s'attacheront à l'Éternel pour le servir, Pour aimer le nom de l'Éternel, Pour être ses serviteurs, Tous ceux qui garderont le sabbat, pour ne point le profaner, Et qui persévéreront dans mon alliance,

Je les amènerai sur ma montagne sainte, Et je les réjouirai dans ma maison de prière; Leurs holocaustes et leurs sacrifices seront agréés sur mon autel; Car ma maison sera appelée une maison de prière pour tous les peuples." (Isaie 56:1;6 - 7)


" Ils haïssent celui qui les reprend à la porte, Et ils ont en horreur celui qui parle sincèrement.

Aussi, parce que vous avez foulé le misérable, Et que vous avez pris de lui du blé en présent, Vous avez bâti des maisons en pierres de taille, Mais vous ne les habiterez pas; Vous avez planté d'excellentes vignes, Mais vous n'en boirez pas le vin.

Car, je le sais, vos crimes sont nombreux, Vos péchés se sont multipliés; Vous opprimez le juste, vous recevez des présents, Et vous violez à la porte le droit des pauvres. " (Amos 5;10-12)


Qu'importent les sacrifices, le culte lorsqu'ils sont détachés de toute préoccupation éthique sincère ? Comment prier en paix lorsque des hommes meurent dans nos rues ? Comment penser que dépenser des dizaines de milliers d'euros dans des banquets communautaires mondains fera plus plaisir à notre Dieu que se préoccuper des vulnérables de la société ? Qui servons-nous véritablement ?


Yuval Harari, dans son deuxième opus "Homo Deus" le dit très justement : " quelle est la dernière révolution qui est venue des religions ?" Quel rôle avons-nous tenu ces derniers siècles, dernières décennies ? Certes, nous étions occupés à fuir, toujours nos valises prêtes, dans un autre coin de la terre. Mais pourtant, au moins la moitié de l'humanité respecte une grande partie du message de la Bible grâce au Christianisme et à l'Islam (comme le dit Rambam lui-même dans Hilkhot Melakhim 11,4 ), nous sommes à l'origine d'une des plus grandes révolutions morales de l'Histoire, à tel point que les Constitutions des plus grandes puissances font ou ont fait référence à Dieu.


Et aujourd'hui ?


Face au relativisme moral ambiant, à la disparition de la recherche de sens et de transcendance, n'avons-nous pas encore quelque chose à faire ? Le Midrash dit "Quiconque amène un païen à la connaissance de Dieu, c’est comme s’il l’avait créé"(Beréshit Rabba , 8, 10). La connaissance de Dieu, ce n'est pas ne pas manger du porc; ce n'est pas non plus faire trois prières par jour; c'est avant toute chose "Observez ce qui est droit, et pratiquez ce qui est juste". Et ce "juste", nous pouvons en proposer une définition. Libéraux, Massorti, Orthodoxes, qu'importe, nous serons d'accord sur les grandes lignes.


C'est à nous qu'incombe la responsabilité du monde dans lequel nous vivons.



[1] Voir M. Kellner,"Maimonides' “True Religion”: For Jews or All Humanity? ", Meorot 7:1 Tishrei 5769 © 2008; http://bit.ly/Kellner1

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