Par Myriam Ackermann-Sommer
Cet article constitue une synthèse d’une série de cours réalisés dans le cadre du Summer Beit Midrash au Centre Fleg.
Pourquoi étudier encore le Rambam, Moïse Maïmonide, rabbin séfarade du 12ème siècle qui fait sans nul doute partie des figures les plus connues de la tradition philosophique et juridique du judaïsme ? En quoi l’approche universitaire a-t-elle quelque chose à nous apporter ? Qu’est-ce qui distingue le Rambam des penseurs de son époque ?
Fait étonnant : on entend parler du Rambam très souvent et à peu près partout, dans quelque milieu juif qu’on évolue, mais aussi en dehors de la communauté juive, par exemple dans le milieu universitaire où il est beaucoup question du Rambam philosophe. L’on préférera dans ce cadre le Guide des Egarés ou More Nevoukhim, que l’on peut qualifier de traité philosophique sur les fondements de la foi et les interrogations qui en découlent, au Mishne Torah, son code de loi juive qui supplante pourtant de loin le traité de philosophie dans les yeshivot. D’un autre côté, c’est ce même penseur dit chantre du rationalisme et aristotélicien convaincu, ce même Moïse Maïmonide qu’on retrouve hebdomadairement dans la sidra de la semaine distribuée par toutes les institutions du Habad Loubavitch, sidra où figure notamment une liste des Mitsvot positives et négatives. Il s’agit là d’une étude vivement recommandée par le Rabbi de Loubavitch pour le renforcement spirituel et l’unité du peuple Juif – à croire que cela marche, puisque tout le monde s’y met !
Il y a assurément quelque chose dans le Rambam qui rassemble, fait l’unanimité, une synthèse harmonieuse de tendances antagonistes.
Et pourtant, c’est du moins le postulat de Menahem Kellner[1], le chercheur dont nous entendons présenter ici les travaux, le Rambam en aurait été le premier surpris. Ironie de l’histoire : dans le même siddour, notre livre de prière quotidien, figurent des textes kabbalistiques et proto-kabbalistiques et les treize principes de la foi du Rambam, ce qui fait du siddour lui-même le produit d’un syncrétisme religieux foisonnant qui gagne en éclectisme et en richesse ce qu’il perd peut-être en cohérence systématique. En effet, pour reprendre le postulat d’un Kellner, l’univers et le système du Zohar par exemple et celui d’un Maïmonide (notamment tel qu’il est développé dans le Guide) seraient si dissemblables qu’il semble impossible que des textes aussi différents fassent autorité dans la même tradition. Peut-être est-ce la valeur d’une tradition textuelle non seulement dialogique, mais polyphonique. Cependant, pour affirmer la valeur de cette tradition, il faut encore comprendre en quoi le Rambam s’oppose à un discours prédominant à son époque, évaluer les enjeux de ses prises de position implicites et explicites.
Telle est l’hypothèse de Kellner : le Rambam aurait eu à cœur de démystifier voire de contester les prémices et les présupposés de la mystique proto-kabbalistique de son époque. Il aurait encore démythifié et hypostasié le judaïsme sur la base de ce que l’on appelle souvent un peu vite son « rationalisme ». Bien sûr, l’enjeu sera d’expliquer ce qu’on entend par là au sens où la kabbale n’est sans doute pas moins soumise à une logique interne que le rationalisme de Rambam dans son élaboration systématique. Simplement, les postulats de base ne sont pas les mêmes.
Et pourtant, autre ironie plus mordante encore, la plupart des grands chercheurs sur la Kabbale, et notamment Gershom Scholem et Moshe Idel, s’accordent à constater que c’est la critique virulente du Rambam qui a contraint les auteurs proto-kabbalistiques puis kabbalistiques à muscler leur jeu et à affiner leur pensée. Par ce discours plus fin advint alors une re-mythification plus sophistiquée du judaïsme, devenu ou redevenu un « monde enchanté », pour citer une expression de Kellner, à la suite du « désenchantement » maïmonidien. Donc on voit qu’un mouvement de proto-kabbale émerge à la fin du 12è et au début du 13è siècle avec ce qu’on appelle l’école de Posquières (j’aurai l’occasion d’évoquer la figure fondatrice de cette école, R. Abraham de Posquières, contemporain du Rambam). Or, cette forme de kabbale et surtout celles qui lui firent suite peuvent être interprétées comme une sorte de réaction au rejet de traditions mystiques bien enracinées par des auteurs comme Maïmonide, mais aussi et surtout à sa réinterprétation philosophique de certains concepts théologiques. Et quand on songe à l’émergence du hassidisme face à la tradition d’étude dominante et à la réaction des mitnagdim (opposants) on ne peut s’empêcher de se dire que l’histoire de la pensée juive se répète dialectiquement, en un débat toujours renouvelé entre abstraction philosophique et revivification des forces vives de la mystique. C’est ce que Kellner appelle « désenchantement » et « réenchantement » du monde. Il place lui-même le Rambam du côté du désenchantement : pourtant il s’agira de montrer ce que ce désenchantement a à offrir, ce qu’il a de stimulant et d’engageant existentiellement.
Ce qu’il faut retenir de ce mouvement de balancier et de ce dialogue c’est le paradoxe suivant : le Rambam aura revivifié une littérature dont au mieux il considérait les principes comme contestables voire erronés et contraires aux intuitions de la philosophie, et dont, dans le pire des cas, il allait jusqu’à contester l’authenticité dans le corpus Juif : par exemple, le Shiour Qoma, un ouvrage de proto-kabbale qui évoque les dimensions du corps divin. Bien sûr le langage employé y est métaphorique, mais on comprend bien en quoi cela a pu déranger le Rambam qui a tant insisté sur l’incorporéité de D.ieu. Soit dit en passant, pour ceux qui comme moi se plaignent de la polarisation des débats sur les réseaux sociaux et la violence des invectives qui fusent à tout va, et qui pensent qu’il s’agit d’un phénomène contemporain, il est assez fascinant de se replonger dans les missives du judaïsme médiéval, où chacun y va de sa petite malédiction. Le Rambam lui-même s’exclame : « maudits ceux qui croient au Shiour Qoma ! » et l’on connaît aussi la réponse non moins piquante du Ravad ou Rabad, qui n’est autre que le même Abraham ben David de Posquières, et qui n’avait rien à envier au Rambam en matière de renommée à son époque, au sujet l’un des principes de la foi qui nous semble désormais complètement intégré, l’incorporéité de D.ieu. De plus grands que toi croyaient en la corporéité de D.ieu ; qui es-tu pour les qualifier d’hérétiques ? N’en ont-ils pas trouvé des traces tant dans les Ecritures que dans les Aggadot ? En substance, telle est la réponse du Ravad.
Ce qui a priori ressemble fort à un argument d’autorité (« qui es-tu pour oser dire ça ? ») doit être compris autrement : selon la plupart des chercheurs à l’heure actuelle, le Ravad lui-même ne doutait pas de l’incorporéité de D.ieu. Il affirmait simplement que cette lecture pouvait légitimement dériver d’une lecture des textes, certes littérale, mais qu’il n’y avait aucune raison de disqualifier sans autre forme de procès. Cette corporéité était en tout cas le point de départ d’une allégorisation qui allait trouver forme et contenu à travers la mystique. On commence donc à comprendre l’agacement des précurseurs de la kabbale face à un judaïsme maïmonidien qui pouvait leur sembler désincarné et abstrait. Ceux-ci étaient également nombreux à rejeter les influences extérieures, et notamment celle de la philosophie, un peu comme l’homme pieux que le penseur Shem Tov Falaquera met en scène dans sa discussion avec le philosophe dans sa défense de Maïmonide.
Pourtant, si le Rambam dérange à l’époque par une abstraction galopante qui jure avec l’appréhension littérale, naïve mais honnête que le fidèle aurait des textes, comment se fait-il que ceux dont on pourrait s’attendre à ce qu’ils soient ses adversaires en matière de pensée juive le citent et se le réapproprient, pour en revenir à ce constat surprenant de la popularité imprévisible du Rambam ? Quelques éléments de réponse. Tout d’abord il y a la segmentation du corpus maïmonidien qui joue sans doute un rôle. De là le fait que beaucoup de milieux, du milieu universitaire (et Kellner ne fait pas exception à cela) au hassidisme en passant par des formes diverses de judaïsme traditionnel, lui prêtent des intentions extrêmement différentes, voire opposées, et le plus souvent pas à travers les mêmes œuvres. Certains lecteurs voient dans Rambam un héraut du rationalisme des Lumières, voire un penseur post-moderne (c’est un peu le cas de Kellner comme on le verra), d’autres font de Maïmonide une lecture plus classique et conservatrice, voire « fondamentaliste ». D’autres encore y cherchent un décisionnaire influent de la loi juive sans trop se préoccuper des fondements de son système. Cette diversité interprétative s’explique partiellement par le fait que les œuvres les plus connues du Rambam que sont le Mishne Torah et le Moreh Nevoukhim sont sous-tendues par des impulsions quasi-contraires ou complémentaires : démocratisation sans précédent de la Loi dans un hébreu accessible à tous à travers le premier ouvrage, réponse en arabe aux élites savantes qui se posent des question philosophiques pointues et peinent à concilier la foi et les exigences de la pensée rationnelle dans le second.
Si on voulait être optimiste on pourrait dire que cette popularité inespérée est le signe qu’on a affaire à un grand penseur. Je pense que c’est le cas, de toute évidence, et tous les lecteurs s’accordent sur ce point. Mais cette popularité sélective pose question: qu’est-ce qu’on choisit d’aimer dans le Rambam, à travers quel texte et pourquoi ? En somme si l’on synthétise un Rambam décisionnaire et compilateur de lois est tout à fait audible et révéré dans les milieux orthodoxes y compris héritiers d’une tradition mystique. Cela témoigne du succès du projet de démocratisation de la loi qu’incarne le Mishne Torah, qui est dans une large mesure parvenu à générer une certaine unité du peuple Juif dans la reconnaissance de grands principes et des lois qui régissent la vie du pratiquant. Pourtant, un écueil que l’on trouve autant dans les milieux juifs traditionnels que dans la recherche consiste à ne pas chercher à penser l’unité du corpus maïmonidien lui-même. Deux publics différents, deux messages opposés ? C’est ce qu’avancent plusieurs chercheurs renommés. Cela me semble un peu facile. Je pense que la réunion des textes du Rambam sous l’angle d’une cohérence intrinsèque (à savoir, être bien conscience que c’est le même penseur qui rédige les deux types de texte) présenterait un intérêt certain pour la recherche.
Second soupçon de ma part : nombreux sont les universitaires, y compris Kellner, qui ne cessent de vanter la « modernité » déroutante du Rambam, mais ce qu’ils appellent « modernité » il me semble qu’on peut le trouver tout autant dans des intuitions de la kabbale auxquels il est pourtant fondamentalement opposé : par exemple, l’intuition kabbalistique qui veut que le monde n’est que langage, est tout tissé de lettres hébraïques qui créent l’univers et en constituent l’essence vive, n’est-elle pas postmoderne à souhait ? Le critère de la « modernité » supposée de tel auteur ou de tel système nous semble donc être un critère douteux pour juger de sa pertinence. Reste à nommer ce qui nous attire dans ces textes, et à nous interroger sur la tendance à nous rassurer en qualifiant ces textes de « modernes ».
Une question d’ordre méthodologique : pourquoi ce choix d’une approche universitaire sur le Rambam ? Ne faut-il pas laisser Maïmonide aux universitaires et le Rambam aux religieux ?
Ma première réponse serait d’ordre personnelle : moi-même, je vis et travaille à la croisée des chemins entre l’université et le beit midrash, essayant de dresser des passerelles entre les deux mondes à mon échelle en tant que jeune chercheuse, luttant contre le cloisonnement de ces univers à mes yeux complémentaires.
Autre réponse qui m’a semblé assez amusant : un article sur Kellner dans la revue Meorot, signé par James A. Diamond, précise que Kellner s’est frayé un chemin jusque dans le monde des yeshivot, mais que, je cite, « il circule sous le manteau dans la contre-culture yeshivique souterraine », au sens où le Rambam (du moins lu par Kellner) aurait tendance à dynamiter bon nombre des présupposés qui sont chers à un certain traditionalisme juif. À commencer par la pétition de principe presque inévitable en vertu de laquelle il existerait une ethnie juive qui précéderait ou subsumerait la responsabilité d’être Juif, une responsabilité qui se réactualiserait sans cesse dans l’existence juive. Être Juif, c’est devenu pour beaucoup un droit sans devoir, une essence supposée déterminante (pour notre bien ou à notre détriment) qui ne soit assortie d’aucune nécessité de se conformer à une exigence (exigence elle-même détaillée par les textes de notre tradition). Ainsi, sans avoir la présomption d’affirmer que cette lecture du Rambam s’impose d’elle-même, on lui reconnaîtra que c’est une lecture qui est documentée et répond à beaucoup de nos questionnements et de nos intuitions sur un judaïsme engageant existentiellement. Elle permet aussi d’aller au-delà de l’élection comme simple privilège, voire prérogative somme toute injuste.
C’est ce questionnement qui est à l’origine de mon intérêt pour cette lecture universitaire du Rambam, qui met en avant ce qu’on pourrait appeler son universalisme élitiste, sa tendance à allégoriser ce qui choque la raison, mais aussi sa remise en question de la notion d’essence, qu’il s’agisse d’essence du sacré ou d’essence de l’être Juif. Cette lecture présente également l’avantage de nous éclairer sur la confrontation aux idées de son époque, notamment au très populaire auteur du Kuzari Yehuda haLévy et à tout un mouvement auquel on donne le nom de proto-kabbale, mais aussi à des formes plus populaires de cette même proto-kabbale, qu’on connaît notamment à travers les ouvrages de magie juive qui existaient à l’époque. Bien sûr, ces écrits n’ont pas tous eu la fortune du Shiour Qoma, et n’étaient pas nécessairement accepté par les élites. Avant la Kabbale de Tsfat, à Safed (16è-17è siècle) il est difficile d’évaluer le degré de diffusion de ces écrits de « magie juive ». Mais on peut s’efforçer de mesurer l’impact idéologique et philosophique qu’ils avaient sur les élites.
Outre l’opposition à ces courants minoritaires du judaïsme Menahem Kellner postule que Maïmonide écrit avant tout en réaction à un courant essentialiste de pensée juive qu’il décrit comme désormais majoritaire, et qu’il qualifie un peu rapidement de traditionnaliste. Comme on l’a suggéré, selon cette tradition, l’élément crucial de l’identité juive serait d’ordre ethnique et déterminé par l’inscription dans une lignée généalogique. Cette représentation serait elle-même ancrée dans des textes très divers comme les écrits de Yehouda haLévy, quasi-contemporain de Maïmonide (le Rambam a trois ou quatre ans quand haLévy meurt), et dans l’ontologie essentialiste de la Kabbale[2]. Kellner identifie dans cet illustre prédécesseur, Yehuda Halévi, le principal adversaire idéologique du Rambam.
Il convient de clarifier que l’on a pas affaire ici à une sorte de « querelle de clocher », ou plutôt de beit midrash, à un désaccord qui se limiterait à la mahloket(débat) entre deux penseurs médiévaux. Des penseurs, des courants et des textes ultérieurs aussi importants et fondateurs que le Zohar, le Maharal de Prague (16ème), le Rav Kook, ou encore le Tanya dont on sait l’influence sur le mouvement Habad Loubavitch, sont convaincus que la différence entre Juifs et non Juifs est intrinsèque, ontologique et essentielle. Peut-être est-elle même immuable. Pour le Rambam, en tout cas relu par Kellner, rien n’est moins sûr : c’est ce dont témoigne par exemple ses textes sur la conversion, et notamment l’épitre au Yemen et la lettre à Obadiah le prosélyte. Dans ce cas, c’est la pensée du Rambam qui a triomphé, me semble-t-il : là où Yehuda haLévy maintient une nette hiérarchie entre le converti et le Juif de naissance, notre tradition se veut accueillante envers les convertis, et ne discrimine pas entre ceux-ci et les membres de la communautés qui sont nés Juifs.
Ce qui se joue ce ne serait donc pas autre chose qu’un débat de fond sur des conceptions opposées du monde et de la sainteté qui recoupent différents aspects de la vie. Reste à expliquer cette méfiance envers les textes dits de proto-kabbale. Est-ce le risque d’anthropomorphisme qui fait frémir le Rambam ? Pourtant, s’il existe déjà dans la Torah des textes dont on doit comprendre qu’ils ne font usage d’anthropomorphisme que par allégorie et pour livrer des enseignements, pourquoi ne pas continuer à dire, face aux textes qui évoquent par exemple les dimensions du « corps divin », qu’il s’agit là d’expressions métaphoriques, et chercher à comprendre ce que la kabbale essaie d’exprimer à travers ces expressions. Il y a fort à parier que ces intuitions mystiques sont riches de sens, une fois qu’on dépasse le sens littéral, tout comme les textes de la Torah qui mettent en scène le corps divin ou les légions célestes. Cependant, un tel projet irait à l’encontre de l’entreprise du More Nekoukhim, et surtout de la première partie lexicographique, qui a justement consisté à patiemment déshypostasier, c’est-à-dire à désenssentialiser différents verbes et différentes expressions de la Torah portant sur les actions et attribut de D.ieu, à formuler les choses dans un langage plus philosophique et abstrait. Qu’a-t-on besoin de plus d’anthropomorphismes une fois que l’on a fini de résoudre les problèmes que posent ceux qui existent déjà ! Mais outre cette question d’ordre quasiment pratique (ne serait-ce qu’en termes de pureté du concept, il vaut mieux ne pas multiplier les manifestations de D.ieu : c’est ce qu’on appellera le rasoir d’Ockam par la suite, à savoir la nécessité de ne pas multiplier les concepts inutiles sources de confusion, surtout en matière de théologie.) ce qui se cache derrière ces objections à une certaine forme de mystique essentialiste n’est autre que l’élaboration d’un système de pensée holistique dont nous mettrons en avant les caractéristiques formelles et les implications pour notre vie de tous les jours.
Ces implications peuvent être d’ordre halakhique : dire le Shema en hébreu ou en français n’aura pas le même sens selon si l’on considère que l’hébreu a une sainteté intrinsèque ou non. Elles peuvent être d’ordre sociologique et politique : dans le cadre de nos relations avec les Nations le dialogue ne se joue pas de la même façon selon si l’on juge que les barrières qui séparent le Juif du non-Juif sont infranchissables, selon la façon dont on conceptualise la différence comme émanant prioritairement de l’essence ou de l’existence. Ces implications peuvent enfin être théologiques et déterminer un certain discours sur le religieux ; s’il existe des Anges, cela signifie-t-il qu’il y a plusieurs puissances célestes ? Le judaïsme serait-il une monolâtrie dorée de sous-entités divines, autonomes vis-à-vis de D.ieu lui-même ? C’est des questions que le Rambam a eu à se poser : à travers ses écrits et celui de ses adversaires, nous aurons l’occasion d’y répondre à notre manière.
Nous proposerons à travers trois articles différents trois lectures du Rambam à partir des analyses de Menahem Kellner : la première s’interrogera sur ce qui fait de l’hébreu une « langue sainte », la seconde invitera à définir ce qui distingue les Juifs des non-Juifs, et la dernière, plus brève, évoquera la question des anges dans notre tradition et de la redéfinition de leur rôle par Maïmonide.
Notes
[1] Chercheur et professeur de pensée juive à l’université de Haïfa, on doit également à Kellner l’ouvrage passionnant : « Un Juif doit-il croire en quoi que ce soit ? » et une superbe traduction d’Abravanel en anglais accompagnée d’une préface remarquable de clarté et de précision.
[2] Si l’on affirme que le Rambam s’oppose à une forme de « proto-kabbale » il convient d’être un peu plus précis, notamment quant à l’identification des formes de la mystique auxquelles il s’oppose à l’époque.Lorsque Maïmonide quitte l’Espagne par contrainte et se retrouve en Afrique du Sud et en Egypte, il découvre une littérature proto-kabbalistique qui s’intéresse aux Sitre Torah, aux secrets de la Torah, et qui livrent un enseignement ésotérique sur les textes de la tradition. Il regrette alors son Andalousie natale et la pureté des préceptes philosophiques qui selon lui préservaient une pureté conceptuelle nécessaire au bon maintien des dogmes du judaïsme. Il est des ouvrages de magie connus à l’époque qu’il ne mentionne même pas comme le Sefer HaRazim, mais il développe une théorie de l’hébreu qui en disqualifie l’efficace magique.Par ailleurs de manière cette fois-ci très claire et tranchée il se retrouve à rejeter hors du canon des textes comme le corpus des Hekhalot, y compris le Maaseh Merkava(littéralement, l’œuvre du Char, c’est-à-dire du char céleste), qui décrit une ascension mystique dans une succession de palais célestes, et le Shiour Koma, commentaire du Chant des Chants qui décrit en détail l’amant divin qu’Israël a rencontré au Sinaï, avec force précisions quant à la taille précise des parties du corps de D.ieu. Ces textes sont par la suite pleinement intégrés dans le corpus de la Kabbale juive par un spécialiste de la question comme G. Sholem. Pourtant, pour le Rambam, il ne s’agit pas de textes d’origine juive mais d’inventions byzantines dont le but serait de pervertir la vraie doctrine du judaïsme ! Voir Responsa (Jerusalem, 1958), 1:201. Il va jusqu’à les qualifier de livres hérétiques et à proposer qu’on les brûle. Voir Maimonides' Responsa siman (117 (Blau) / 373 (Freimann)); traduction Rabbi Yosef Qafih et réédition dans Collected Papers, Volume 1, footnote 1 on pages 475-476.On devine que face aux des textes d’un commentateur aussi connu que Yehouda haLévi, l’auteur du Kuzari, il sera plus difficile pour le Rambam de crier au faux byzantin, et qu’une argumentation poussée s’impose.
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